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Division du travail |
L'expression division du travail aurait été créée au XVIIIe siècle par Bernard Mandeville (ou de Mandeville), dans sa Fable des abeilles, où il analyse, « de façon spirituelle et pénétrante », de nouveaux aspects du fonctionnement réel de la société[1]. La division du travail renvoie à plusieurs notions distinctes mais complémentaires : la division sociale du travail, la division sexuelle, la division technique du travail et la division internationale du travail. Genèse du conceptTemps anciensLa division du travail dans les sociétés humaines a des origines très lointaines : Révolution néolithiqueAu Proche-Orient, le développement quasi simultané de l’agriculture et de l’élevage, combiné avec l'essor démographique qui en résulte, déclenchent une transition progressive caractérisée par un partage du travail et une spécialisation des tâches. Environ 8 000 ans av. J-C, un climat plus sec et parfois aride entraîne la raréfaction des animaux et du gibier. Cette diminution des ressources alors que la pression démographique est forte contraint les hommes à innover pour survivre. Un contexte particulièrement favorable se constitue avec la sédentarisation de populations dans une région de zones de pluie très propice à la culture du sol, appelée « Croissant fertile » (Plateaux et plaines qui s’étendent de l’Inde à la mer Méditerranée, avec pour épicentre le Kurdistan et l’Irak actuels).
— Jean-Marie Pelt, Marcel Mazoyer, Théodore Monod, Jacques Girardon[2]. Ces mutations vont de pair avec d'importants changements sociaux dont une stratification des populations et la formation de la pyramide du pouvoir hiérarchique. Elles préfigurent la future organisation des premières grandes cités de l'Histoire qui voient le jour quelques millénaires plus tard. Code de HammurabiLe Code de Hammurabi — environ 1750 av. J.-C — fait apparaître l'existence de différents corps de métiers. Si quelqu'un engage un artisan, par jour :
Culture indo-européenneGeorges Dumézil, en étudiant les cultures et mythologies indo-européennes, montre que les sociétés anciennes sont très tôt explicitement structurées en trois groupes cohérents d'individus :
Il rapproche ainsi la division en trois catégories de la société en Inde, de celle retrouvée en Iran ancien, et de celle existant à Rome, où le collège des Flamines (prêtres romains) entretient le culte des trois dieux majeurs (Jupiter, Mars et Quirinus), dont les caractères correspondent aux trois fonctions fondamentales : fonction de commandement et de sacré, fonction de la force guerrière et fonction de la fécondité. Il formalise ainsi la thèse de la répartition tri-fonctionnelle (souveraineté et religion, guerre, production). Tripartition qui se retrouve dans le vocabulaire, l'organisation sociale et le corpus légendaire de tous les peuples indo-européens, pourtant répartis sur des millions de kilomètres carrés. Ainsi en Europe, la société médiévale est divisée en oratores, ceux qui prient (le clergé), bellatores, ceux qui combattent (la noblesse) et laboratores, ceux qui travaillent (les agriculteurs, artisans et commerçants). Distinction qui perdure en France jusqu'en 1789 avec l'organisation des trois ordres que sont le Clergé, la Noblesse, et le Tiers-État. Ainsi la société indienne est divisée en brahmanes (prêtres, enseignants et professeurs), en kshatriyas (roi, princes, administrateurs et soldats), et en castes productives, qui se subdivisent en vaishyas (artisans, commerçants, hommes d'affaires, agriculteurs et bergers) et shoûdras (serviteurs). Antiquité grecquePlatonPlaton est l'un des premiers philosophes à avoir remarqué qu'au niveau de la société, « on fait plus et mieux et plus aisément, lorsque chacun ne fait qu'une chose, celle à laquelle il est propre »[3]. « La société est un regroupement d'individus qui trouvent avantage à vivre ensemble parce que cela leur permet de diviser entre eux les tâches et de se spécialiser de plus en plus dans l'exercice d'une activité déterminée. Ainsi apparaissent les divers métiers, puis le commerce intérieur et extérieur »[4]. Dans La République, (la formation de la Cité), Platon décrit le regroupement volontaire d'individus ayant des besoins à satisfaire, mais ne pouvant tous les satisfaire eux-mêmes, tels que se nourrir, se vêtir, se loger, qui nécessitent différents savoirs pour labourer, tisser les vêtements, ou encore bâtir les édifices. Même si le terme n'est pas utilisé, Platon donne à voir une « division du travail » issue de la nécessité de satisfaire les besoins qu'un homme seul ne peut pas ou mal satisfaire. La Cité serait la forme d'organisation sociale qui demande et permet tout à la fois l'organisation du travail. Platon expose que la société est divisée en trois classes : celle des agriculteurs, gens de métiers et commerçants qui assurent la prospérité matérielle, celle des guerriers et des gardiens qui garantissent la sécurité extérieure et intérieure, celle des chefs dont la mission est de diriger l'ensemble social. Or, dit Platon, c'est le hasard plutôt que l'hérédité qui fait les qualités des individus. Par conséquent, il faut procéder à la sélection et à la formation de jeunes citoyens pour qu'ils puissent se répartir entre les différentes fonctions ainsi caractérisées[4]. XénophonXénophon complète cette idée en y ajoutant celle que la division du travail augmente l'efficacité de la production et se trouve favorisée par la taille de la communauté, idée qui sera reprise par Adam Smith sous la forme « la division du travail est limitée par la taille du marché ».
— Cyropédie, Livre VIII, chap. 2. Art et technique militairesL'historien anglais Arnold Toynbee montre dans son ouvrage « Guerre et civilisation »[5] combien la division du travail sans cesse plus poussée de l'infanterie chez les Spartiates (phalange de type spartiate), puis chez les Macédoniens (phalange de type macédonien), puis chez les Romains (plusieurs modes successifs d'organisation et de déploiement de la Légion) explique la supériorité et les succès militaires sur le champ de bataille. Les puissances victorieuses sont le plus souvent celles qui ont su développer — grâce à une division du « travail militaire » supérieure — un avantage tactique dominateur. Émancipation du discours scolastique
Réflexions et applications de la division du travail à l'époque moderneLa notion de division du travail donne lieu à de nombreuses applications qui inspirent les réflexions de plusieurs auteurs[6]. XIVe – XVIe sièclesÀ partir des XIVe et XVe siècles, l'organisation de l'Arsenal de Venise et d'un certain nombre d'autres chantiers navals en Europe à la même époque, montre que des techniques d'organisation du travail sophistiquées permettent d'accélérer le rythme de construction des bateaux. XVIIe siècleÀ l'occasion de ses fonctions d'ingénieur militaire, Jean-Sébastien de la Prestre, Marquis de Vauban étudie de façon très précise le système de rémunération utilisé par les entrepreneurs de fortification pour rémunérer les soldats employés aux travaux de terrassement. Sa célèbre « Instruction du 15 juillet 1688 » se fonde sur une étude du rendement des différents postes de travail (« chargeurs », « brouetteurs », etc.) tient compte des différentes natures de terre et comporte des tables de salaire qui doivent assurer aux soldats une juste rémunération pour un rendement satisfaisant. Soit une remarquable analyse de la répartition et du paiement du travail[7]. Dans son Arithmétique politique (1690), William Petty décrit le phénomène de la division du travail en insistant sur les économies d'échelle. Il affirme que les produits sont de meilleure qualité et moins chers si beaucoup de personnes y travaillent : « Le gain est plus fort quand la manufacture elle-même est plus forte ». Il réalise une étude pratique des chantiers navals hollandais : alors que d'habitude, on ne commence pas un nouveau navire sans que le précédent ne soit terminé, les Hollandais constituent différentes équipes de travailleurs spécialisés qui réalisent chacune les mêmes tâches sur différents bateaux, qui se trouvent être simultanément en voie de construction sur des chantiers parallèles. XVIIIe siècleDans La Fable des abeilles (éditée en 1714 et complété en 1729), Bernard de Mandeville utilise, le premier, l'expression « division du travail » (voir Fable 2).
Dans les ouvrages de philosophes tels que David Hume (1711-1776) et Cesare Beccaria (1738-1794), on note que Hume[8] :
Sur le terrain, on note la mise en œuvre de procédés d'organisation du travail conçus pour une meilleure efficacité :
Dès le milieu du XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau pose la question de la limite de la division et de la mécanisation du travail. « Les arts ne se perfectionnent qu'en se subdivisant et en multipliant à l'infini les techniques : à quoi cela sert-il d'être un être sensible et raisonnable, c'est une machine qui en mène une autre[11]. » En 1776, l'économiste Adam Smith dans son ouvrage Richesse des nations reprend à la fois l'expression mais aussi l'exemple de la fabrication d'épingles. S'inspirant de l'Encyclopédie, il décrit la « division technique du travail » à l'œuvre dans une manufacture d'épingles au sein de laquelle les tâches ont été parcellisées et spécialisées entre les ouvriers, source d'une plus grande productivité[12]. Certains, comme Mathiot, pensent que la division du travail vue par Smith est « la matrice de construction d'un nouveau concept du sujet économique, représenté comme autonome à la fois dans sa pratique et dans son évaluation » : elle n'est plus conçue « comme l'inévitable subordination du sujet économique à un ordre qui lui assigne sa place… »[13]. Smith, à la différence de Platon et de Taylor, ne s'inscrirait pas dans une vision inégalitaire des hommes. « Dans la réalité, la différence des talents naturels entre les individus est bien moindre que nous ne le croyons, et les aptitudes si différentes qui semblent distinguer les hommes des diverses professions quand ils sont parvenus à la maturité de l'âge, n'est pas tant la cause que l'effet de la division du travail, en beaucoup de circonstances. La différence entre les hommes adonnés aux professions les plus opposés, entre un philosophe, par exemple, et un portefaix, semble provenir beaucoup moins de la nature que de l'habitude et de l'éducation. »[14]. Pourtant, Smith est conscient des effets néfastes d’une division accrue du travail : « L'homme qui voue sa vie entière à effectuer quelques rares opérations simples, desquelles les effets sont peut-être toujours les mêmes ou très semblables, n'a pas d'occasion de pratiquer sa compréhension ou d'exercer son inventivité à trouver des opportunités à dissiper des difficultés qui ne surviennent jamais. Il perd naturellement, dès lors, l'habitude de telles pratiques et, généralement, devient aussi stupide et ignorant qu'il est possible à une créature humaine de devenir. La torpeur de son esprit le rend non seulement incapable de goûter ou supporter un parti dans quelque conversation rationnelle que ce soit ou de concevoir ne serait-ce qu'un sentiment généreux, noble ou tendre, mais aussi, en conséquence, de former un jugement juste concernant plusieurs, même des plus ordinaires, tâches de la vie privée »[15]. L’individu devient alors incapable de former un « jugement moral », tel qu’il est décrit dans la Théorie des sentiments moraux. Pour empêcher cela, Smith recommande une intervention du gouvernement, pour prendre en charge l’éducation de la population. Jean-Louis Peaucelle[16], professeur de gestion à l'IAE de l'université de La Réunion, après avoir confronté Adam Smith à ses propres sources et réalisé une présentation critique de tous les textes ayant traité des méthodes de fabrication, soutient que :
XIXe siècleEn 1832, Charles Babbage, mathématicien et théoricien de l’organisation industrielle britannique, élargit, dans son ouvrage Traité de l'économie des machines et des manufactures[17], la théorie de la division du travail proposée par Adam Smith en faisant valoir que, pour mener à bien certaines entreprises, les forces d'un seul homme ne suffisent pas, en raison de l'inégalité innée des hommes en ce qui concerne leur aptitude à accomplir des travaux de nature diverse et de l'inégale distribution dans le monde des facteurs de production naturels, autres qu'humains[18]. Il considère également que la spécialisation s'impose aussi bien au travail intellectuel qu'au travail manuel. En 1840, Alexis de Tocqueville prédit dans son Livre De la démocratie en Amérique, les conséquences du principe de la division du travail :
En 1867, dans Le Capital, Karl Marx étudie, lui aussi, la division technique du travail, mais pour davantage analyser les effets sociologiques et politiques comme l'exploitation du « surtravail » des prolétaires, « l'aliénation du travail ». Pour le marxisme et d'autres courants sociologiques, la division du travail — constitutive du capitalisme — est aliénante. Marx précise que la division du travail diffère selon le mode de production social dans lequel elle a lieu :
La logique n'est pas identique : la première renvoie à l'organisation du travail collectif, qui prime. La seconde renvoie à la loi du marché, la loi de la concurrence, qui prévaut. XXe siècleHenri Fayol, ingénieur des mines et ancien dirigeant des houillères, préconise des principes susceptibles, selon lui, de clarifier le travail de l'encadrement et la structure des entreprises pour en accroitre l'efficacité. Pour ce faire, il propose de :
Au début du XXe siècle, la notion est revisitée pour s'inscrire dans ce qui veut être l'OST (Organisation scientifique du travail). Ainsi Frederick Winslow Taylor, en réaction au manque de rigueur constaté dans les ateliers de son entreprise, va préconiser de mettre fin aux pratiques spontanées héritées de l'artisanat et des mentalités corporatistes. Pour ce faire, il propose de systématiser l'application du principe de l'organisation du travail selon deux axes :
D'autres auteurs comme Alain Touraine[20] étudient d'un point de vue plus sociologique les conséquences de l'évolution de la division du travail sur les postes ouvriers. Cette division conduira ensuite au concept d'Unité d'œuvre. XXIe siècleDe nos jours, l'aspect « division internationale du travail » ne cesse de prendre de l'importance avec le processus de mondialisation et de globalisation productive. Modalités d'application de la division du travailDivision sociale du travailLa division sociale du travail existe à l'intérieur des sociétés aussi bien humaines qu'animales. Elle constitue même l'un des principes fondamentaux de leur organisation. C'est le thème général traité par exemple dans le célèbre essai d'Émile Durkheim, La Division du travail social, qui étudie la répartition des activités productives, entre des groupes spécialisés dans des activités complémentaires. Pour Émile Durkheim, la « division du travail social » (De la division du travail social, 1893) est un phénomène social plus qu'économique. En résumé, Durkheim distingue :
Même s'il a relevé plusieurs formes de pathologie de la division du travail social en cette fin du XIXe siècle, Durkheim entend montrer comment les communautés humaines peuvent créer de nouvelles règles et de nouvelles formes de solidarité, face aux grands changements provoqués par la Révolution industrielle. On retrouve bien là l'une des grandes préoccupations du sociologue : l'« harmonie sociale ». Cela peut aussi renvoyer à des aspects particuliers comme la division sexuée du travail, objet fréquent d'étude pour la sociologie et l'ethnologie : où il s'agit d'analyser et de comprendre la distribution institutionnelle ou coutumière des fonctions productives entre les sexes. Elle rend en particulier compte de l'institution et l'articulation entre les deux sphères d'activités distinctes que sont la vie et l'économie domestique et la vie et l'économie publique ou marchande. Division sexuelle du travailDivision technique du travailHistoriquement, l'approfondissement et le perfectionnement du principe de division du travail sont associés à la croissance de la production économique, ainsi qu'à la montée du capitalisme et d'un système productif complexe. La division du travail accroît l'interdépendance économique et nécessite le développement du commerce. Sa mise en place va de pair avec l'apparition et le renforcement d'institutions instaurant la répartition des tâches et la circulation des biens: Ainsi la diffusion et l'usage de la monnaie ont facilité les échanges rendus incontournables par la spécialisation des opérateurs. Intimement liée au machinisme, ce thème revient sur le devant de la scène à l'époque de la révolution industrielle. Les auteurs sont divisés sur la question de savoir qui du machinisme ou de la division du travail a constitué le facteur déclencheur du développement économique et social. Quelle que soit la réponse à cette question, le renforcement de la division du travail est patent : Mobilisation et spécialisation des compétences sont invoquées pour structurer le système de production en occupations différenciées. Ceci afin de mieux correspondre aux différentes aptitudes des êtres humains et aux environnements divers dans lesquels ils vivent et mieux satisfaire leurs préférences.
— Heinrich Friedrich von Storch[21]. Au début du XXIe siècle, c'est l'étude au sein des filières, des entreprises, ou des processus économiques élémentaires, de la répartition du travail entre agents économiques, spécialisés dans des tâches ou des rôles spécifiques. C'est aussi une forme d'organisation contemporaine de la production industrielle, s'appuyant sur la décomposition du travail en tâches parcellaires, réparties entre plusieurs individus ou groupes d'individus spécialisés, afin d'augmenter la puissance productive d'un personnel souvent peu qualifié. On retrouve là les thèmes traités par les promoteurs de l'OST, l'Organisation scientifique du travail. Division internationale du travailC'est l'étude de la répartition des activités économiques et des échanges de flux commerciaux entre pays ou catégories de pays. Ce thème est important :
Critiques de la division du travailNotes et références
AnnexesBibliographie
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